Art & THÉRAPIE
« On joue en art-thérapie avec tous les possibles de ce que l’on est et de ce que nous ne voulons pas être – nos doubles, nos fantômes ou ceux de nos ancêtres. On est dans la légende plus que dans le direct. En nous, il y a des choses qu’on ne peut pas voir en face, des choses trop fortes qui sont nos incandescences ; on risque de s’y brûler, les traiter de front fait trop mal. Il faut employer l’art de la ruse, jouer avec tous les masques possibles, travailler dans le mensonge prescrit pour arriver au caché travesti et ne jamais traquer une vérité : celle-ci ne se dévoilera que parce qu’elle n’est pas recherchée. » Blandine Serra, Voyage vers l’art-thérapie
Le rôle de l’art dans la guérison intérieure
Si aujourd’hui, il m’est devenu possible de m’émerveiller devant la beauté de la vie et de ressentir un profond bonheur d’être, tout simplement, c’est sans doute grâce à un long chemin parcouru vers ma propre guérison intérieure. Il existe autant de chemins possibles que d’individus dans le monde. Le mien a été particulièrement marqué par la présence de l’art. Je n’ai jamais eu de quelconques aspirations à rencontrer le succès dans mon travail d’artiste. Et c’est pour cette raison précisément que je ne l’ai pas connu. Je peignais, je sculptais, j’écrivais, je faisais de la musique, parce que cela me semblait fondamental. L’art me permettait d’exprimer quelque chose qui se révélait important à mes yeux. Il n’était même pas nécessaire que je comprenne le sens de cette révélation. L’essentiel était de pouvoir l’exprimer, de voir ses formes, ses couleurs et puis de les voir se transformer. Durant la création, quelque chose se modifiait. La souffrance que je portais en moi depuis mon tout jeune âge s’allégeait pas à pas, même s’il m’arrivait d’éprouver un certain dégoût face à l’esthétique ou le contenu de mes expressions. Je ne les aimais pas car elles témoignaient de la laideur et du poids de mes blessures intérieures. Cela ne m’arrêtait pas, et plus je m’accrochais à l’art, et plus il me guérissait.
J’étais incapable d’expliquer pourquoi. Je pensais que c’était propre à l’artiste ou propre à moi. Après des années d’expériences et de recherches orientées vers le bien-être, j’ai enfin compris ce que cette expression m’apportait.
L’art est en effet un excellent moyen thérapeutique. L’intimité dans laquelle il s’exerce permet de « réparer » quelque chose qui s’est brisé ou de remettre en mouvement ce qui s’est bloqué en cours d’évolution. Sa puissance créatrice transforme les blessures figées durant le cheminement de l’enfant vers l’âge adulte.
L’art est un voyage intime où l’on peut exprimer et créer. Pendant que l’expression soulage les maux, la création peut les transformer et donner lieu à « être davantage » ce que nous sommes essentiellement.
Nous avons plus ou moins tous en nous un enfant blessé, abandonné ou réduit au silence par l’adulte que nous sommes. L’art, dans ce contexte, offre un chemin vers la reconnaissance de cet enfant qui souffre. Le reconnaître et le libérer nous ramène à reconnaître notre essence même où s’exprime tout notre potentiel créatif et notre spontanéité.
Comme tout enfant, notre enfant intérieur traverse différentes étapes d’évolution. Il arrive parfois qu’il soit stoppé à une certaine étape, ce qui l’empêchera inévitablement de passer à une autre. Rencontrer cet enfant à travers l’acte créateur peut, dans un premier temps, l’inciter à exprimer ses émotions et l’aider ensuite à les transformer, de manière à continuer son développement.
Cet enfant en nous, brimé ou malmené, a dû peut-être grandir trop vite, peut-être face aux poids de ses blessures, il n’a pas trouvé mieux que de se replier sur lui, sans être aimé, entendu ou compris ? Devenu adulte, il a renoncé à sa capacité de s’émerveiller de la magie et des mystères de la vie. Abandonnant son enfant intérieur, l’adulte a perdu une source de richesse intérieure extraordinaire. Cette séparation provoque alors une sorte de fêlure et devient la cause d’un mal-être. Rétablir le dialogue avec notre enfant intérieur, c’est nous permettre de renouer avec notre véritable essence et de retrouver la plénitude.
L’art est un des chemins qui mènent vers la réconciliation entre l’adulte et l’enfant qui est en lui. L’enfant retrouvé, porteur de la transformation, peut alors offrir à l’adulte la possibilité d’évoluer et de guérir.
La création offre l’espace où nous pouvons accueillir nos erreurs, nos égarements ou nos conflits intérieurs, les accepter, les dépasser et nous dépasser nous-mêmes. Bien sûr, l’art n’effacera jamais ce que nous avons vu, entendu et vécu, mais il peut nous aider à transformer notre attitude envers les expériences trop douloureuses et contribuer à ce que nous en souffrions moins ou plus du tout.
L’art élargit le regard du créateur et l’oriente vers des possibles illimités. Tout le monde ne devient pas forcément artiste mais tout le monde peut créer. La création nous permet de nous rendre compte que les formes et les couleurs, au départ maladroites ou décousues, peuvent se rencontrer et donner lieu à une composition inespérément intéressante ou harmonieuse, de la même manière qu’une laideur peut devenir beauté ou un drame peut se transformer en bonheur.
L’art est une invitation au voyage vers la transformation intérieure. Il est une vérité qui se dessine sur l’œuvre elle-même. Il est la vie dans son perpétuel mouvement qui n’a pas besoin de demander à la raison le juste chemin. « L’essentiel dans l’art, c’est qu’il parachève l’existence, c’est qu’il est générateur de perfection et de plénitude. L’art est par essence affirmation, bénédiction, divinisation de l’existence. » (Nietzsche, La volonté de Puissance). Dans cette lumière, l’art n’est pas seulement un outil thérapeutique mais un thérapeute qui se suffit à lui-même car, comme la vie, il est le créateur et la création en même temps.